L’histoire de l’éco-conception : 2021, de la nécessité d’une nouvelle conception du Monde - [3/3]

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Cet article fait suite à deux autres articles sur l’histoire de l’éco-conception. - Temps de lecture : 5 minutes

22.05.2021

l'histoire de l'éco-conception

Introduction : la crise environnementale toujours d’actualité

Malgré l’espace que prend la crise environnementale dans l’actualité politique, malgré une prise de conscience citoyenne grandissante et des études scientifiques alarmantes, nous continuons à nous diriger collectivement vers une impasse écologique.

Les réponses à apporter sont évidemment multiples. Chez Mu, nous pensons que l’éco-conception est l’un des moyens incontournables pour agir. Son histoire, ses principes et ses limites bien compris en font un outil précieux.

 

Lisez les deux articles précédant avant de lire celui-ci : 

 

Les années 2010, une profusion de normes qui mène à la dissonance

Les bases théoriques de l’éco-conception ont été posées au début des années 2000. Depuis, la démarche s’est nourrie d’autres approches : certaines très usitées dans l’industrie, comme la démarche qualité, d’autres plus singulières, comme le management environnemental. L’éco-conception est ainsi devenue une discipline mature.

Bien qu’elle ne soit pas encore systématique, l’intérêt croissant pour l’éco-conception a entraîné la multiplication des normes pour encadrer la démarche. Parmi les principales :

  • La norme internationale ISO 14062 dont nous avons parlée précédemment, initialement publiée en 2002 et annulée en octobre 2020 [1]
  • La norme française NF X30-264, publiée en 2013 [2]
  • La norme internationale ISO 14006, dont la dernière mise à jour a été publiée en janvier 2020 [3]
  • Le projet de norme internationale ISO 19991 initié en 2018 [4]
  • Ou encore plus récemment la norme IEC 62430, révisée et publiée en octobre 2019 [5]
normes de l'écoconception

L’économie circulaire et la circularité des matériaux

D’autres notions émergentes, comme l’économie circulaire ou la circularité des matières, sont apparues ces dernières années. Pour répondre à la demande des entreprises, de nouvelles normes font irruption dans ce jeu déjà complexe d’harmonisation des pratiques d’éco-conception.

  • ISO 14009 (décembre 2020) : lignes directrices pour intégrer la circularité des matériaux [6]

  • XP X30-901 (AFNOR, octobre 2018) : système de management de projet d’économie circulaire, avec l’éco-conception comme l’un des sept domaines d’action [7]

Cette multiplication de normes crée un sentiment de complexité. Intégrer la dimension environnementale dans la conception d’un produit ou d’un service devient alors un véritable défi : 

  • Peut-on faire de l’éco-conception sans système de management environnemental ?

  • Les démarches d’éco-conception et de conception intégrant la circularité sont-elles compatibles ?

Autant de questions qui peuvent troubler la compréhension de l’ensemble de ces démarches qui, au demeurant, restent majoritairement volontaires. Mais au-delà de cette cacophonie apparente et de toute la diplomatie nécessaire au travail collaboratif de comités d’experts provenant de différents pays [8], les mises à jour, intégrations et autres fusions de normes entre-elles peuvent entrainer des pertes en ligne voire des manquements. Un concept peut se retrouver dénouer d’éléments clés qui le caractérisaient auparavant ; les principes d’une démarche qui étaient des exigences dans la version précédente deviennent des recommandations dans la nouvelle version, etc.

Cette multiplicité des référentiels et la superposition des grilles de lecture tendent à la dissonance, mouvement inverse de toute tentative de normalisation qui doit viser à l’harmonisation et au partage des connaissances et des bonnes pratiques.

 

L’éco-conception dans la réglementation et les objectifs internationaux

Malgré ces complexités, l’éco-conception prend de plus en plus de place dans les réglementations :

  • Nationales : Feuille de Route pour l’Économie Circulaire [9], loi anti-gaspillage, Loi de transition énergétique, Plan France Relance

  • Européennes : Directive sur l’écoconception des produits liés à l’énergie [10]

  • Internationales : Objectif 12 des Nations Unies pour un « mode de production et de consommation responsables » [11]

Cependant, il ne faut pas oublier que l’ONU avait déjà défini le développement durable en 1987, en invoquant les « générations futures » [12]. 34 ans plus tard, ces générations futures sont nos consommateurs, nos salariés, nos citoyens d’aujourd’hui [13].

Limites de la croissance

Des alertes scientifiques depuis 50 ans …

Dès les années 70, un groupe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology ont saisi l’opinion publique en exposant les résultats de leur rapport dit « du Club de Rome » [14] démontrant par une modélisation informatique [15] qu’une croissance infinie sur une planète aux ressources finies ne pouvait se diriger que vers une situation de déclin voire d’effondrement. En 2014, le chercheur australien Graham Turner a testé, a posteriori, le modèle des chercheurs du MIT. Le chercheur australien a repris différentes données historiques entre 1970 et 2010 en s’appuyant sur des données collectées auprès des Nations Unies, de l’UNSECO, de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, etc.

À en juger les résultats de l’étude australienne [16], le Modèle World 3, malgré une modélisation simpliste et une puissance de calcul informatique des super-ordinateurs de l’époque infime comparée à celle disponible aujourd’hui, s’est avéré plutôt juste. Le monde réel a malheureusement suivi très précisément les courbes du scénario business as usual du rapport sur Les limites de la croissance (dans un monde fini).

 

Vers une nouvelle (éco)conception du monde

Rappelons que, dès 1970, Victor Papanek formulait déjà la voie double d’un « design pour la survie » et d’une « survie par le design », projetant les pratiques de conception dans un monde « réel » conscient de sa finitude et des impacts du productivisme industriel [17]. 50 ans plus tard, nous devons collectivement faire le deuil d’une conception du monde bâti autour de l’idée d’une croissance infinie qui a colonisé nos imaginaires depuis des décennies. Il nous faut regarder en face la fragilité de nos systèmes humains (exacerbée par la crise sanitaire) et des écosystèmes que nous co-habitons. Il s’agit de prendre conscience de la finitude de nos ressources (fossiles, métalliques, non renouvelables à échelle humaine…) ce qui nous amènera nécessairement à en prendre soin.

Exploitons-les comme des biens précieux à ponctionner et transformer avec raison et parcimonie pour développer des services et des produits robustes et durables, conviviaux, conçus pour être appropriables et réparables par chacun, tout en étant désirables et utiles …

Imaginer des futurs désirables

 

Conclusion

Faisons durer nos objets, réparons-les et privilégions la seconde main. Mais surtout, repensons nos besoins. Une offre bien pensée, si elle n’est pas accompagnée d’une demande éclairée, ne suffira pas à relever la crise environnementale.

L’éco-conception reste une méthode précieuse, à appliquer à la fois aux produits et à notre conception du Monde.

L’ensemble des tentatives, prototypes et autres propositions pour faire face à cette impasse écologique sont et seront nécessairement hétérogènes et nous pensons que l’éco-conception est une méthode précieuse qu’il ne faut pas limiter à un mode de conception plus écologique des produits, mais l’étendre à une conception plus écologique du Monde que nous habitons.

Un grand merci au dessinateur Mathieu Bablet et aux éditions Ankama de nous avoir permis d’utiliser une illustration de l’excellente BD « Carbone & Silicium » pour imagé cet article ! Merci également à Anthony Boule, Florent Chalot et à Vincent Beaubois pour leurs apports à cet article et à Christophe Gilabert pour les autres illustrations.

 

Références et notes de bas de pages

[1] La norme internationale ISO 14062, initialement publiée en 2002 et annulée en octobre 2020, vise à intégrer des aspects environnementaux dans la conception et le développement de produit (source : https://www.iso.org/fr/standard/33020.html ; consultée le 19 mai 2021)

[2] La norme française NF X30-264, publiée en 2013 par l’Association Française de NORmalisation (AFNOR) propose une méthodologie pragmatique pour la mise en place d’une démarche d’éco-conception qui s’adresse aux entreprises de toutes tailles, et en particulier aux TPE et PME qui souhaitent initier la démarche.

[3] La norme internationale ISO 14006, est essentiellement destinée aux entreprises ayant mis en place un système de management environnemental et décrit les lignes directrices pour y incorporer l’éco-conception des produits. La mise en place d’un Système de Management Environnemental (SME) étant elle-même cadrée par la norme ISO 14001.

[4] L’ancienne norme internationale ISO 19991 nommée « Environmental Conscious Design » traite de l’intégration de l’évaluation des aspects environnementaux et des impacts associés au processus de conception et développement des produits. La norme ISO 19991 est née de la volonté de fusionner les normes ISO 14062, datant de 2002 et l’ancienne version de l’IEC 62430 (Éco-conception pour les produits électriques et électroniques) datant de 2009. (source : CD2E via la Plateforme Avnir, 2018, Les normes d’écoconception : Pour une transition de nos moyens de production et consommation)

[5] La norme IEC 62430, révisée et publiée en octobre 2019 par la Commission Électrotechnique Internationale (IEC) et l’ISO, décrit les principes, exigences et recommandations de l’éco-conception. Cette norme venant combler l’espace vide laissé par l’annulation de l’ISO 14062, n’est pas restreinte aux produits électriques et électroniques et qui s’adresse aux entreprises de tous secteurs. Elle donne les principes de l’éco-conception, également appelée «conception environnementale responsable » ou « Environmentally conscious design »ECD en anglais.

[6] source : https://www.iso.org/fr/standard/43244.html ; consultée le 19 mai 2021

[7] Vous pourrez lire une critique de cette norme dans cet article : https://www.linkedin.com/pulse/l%C3%A9conomie-circulaire-ne-nous-sauvera-pas-fran%C3%A7ois-xavier-ferrari-1f/

[8] La première version de la norme ISO 19991 (norme qui a finalement débouché sur l’IEC 62430:2019) n’a par exemple pas été considérée comme satisfaisante par le groupe d’expert éco-conception français, notamment du fait de l’absence d’éléments clés de l’ISO 14062:2002. (CD2E via la Plateforme Avnir, 2018, Les normes d’écoconception : Pour une transition de nos moyens de production et consommation)

[9] Vous pourrez lire une critique de la FREC dans cet article : https://www.linkedin.com/pulse/l%C3%A9conomie-circulaire-ne-nous-sauvera-pas-fran%C3%A7ois-xavier-ferrari-1f/

[10] Directive 2009/125/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie (source : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32009L0125&from=FR ; consultée le 19 mai 2021)

[11] Source : www.un.org/sustainabledevelopment/fr/sustainable-consumption-production ; consultée le 19 mai 2021

[12] Le concept de développement durable a été défini pour la première fois en 1987, dans le rapport de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le développement de l’ONU, dit « de Bruntland », comme étant « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

[13] Pablo Servigne, est un auteur et conférencier français qui s’intéresse tout particulièrement aux questions de transition écologique, d’agroécologie, de collapsologie et de résilience collective.

[14] Voir l’article précédent ici : https://cooperativemu.com/lhistoire-de-leco-conception-1-3/

[15] World 3 est un modèle qui permet une simulation informatique de six variables macro-économiques des interactions entre population, production industrielle et de services, production de nourriture et limites des écosystèmes terrestres. Par exemple une population grandissante entraine plus de production de nourritures, mais également plus de production de services qui eux nécessitent des ressources et produisent des pollutions.

[16] Turner, G.M. (2014). Is Global Collapse Imminent?

[17] BEAUBOIS et FERRARI (2020) L’éco-design ou l’épreuve de l’invisible écologique, « Sciences du Design » n° 11, Presses Universitaires de France

 

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