Répartition de la valeur chez Mu [2/3] : « Tout travail mérite salaire », mais pas trop non plus !

 

Par François-Xavier Ferrari

 

 

Depuis les rapports des experts du GIEC [1], à ceux des économistes du Laboratoire sur les Inégalités Mondiales, en passant par les chercheurs de l’Université du Maryland s’appuyant sur des outils développés par la NASA, il paraît clair qu’une trop forte inégalité économique mène à l’insoutenabilité des sociétés humaines (tout autant qu’une mauvaise gestion des ressources) [2] et que les inégalités économiques n’ont jamais été aussi fortes depuis la fin du 19ème siècle [3].

Au-delà des idéaux de justice sociale, une répartition plus équitable des richesses est peut-être bénéfique pour la stabilité du système et donc bénéfique pour tou·te·s, riches, ultra-riches, ou pas !

Aussi, comme Mu vise à être une entreprise en cohérence entre ce qu’elle fait et la manière dont elle le fait, elle a été créée en 2010 sous forme de SCOP (Société COopérative et Participative) et dès lors la question de la répartition équitable des richesses générée est un sujet qui nous travaille et que nous travaillons tous les jours depuis plus de 13 ans 😊

Voici le second article d’une série portant sur la répartition de la valeur chez Mu ✨.

 

 

La rémunération en SCOP💰

Une SCOP est constituée de salarié·es et d’associé·es dont la majorité est également salarié·e. Cela implique que même en phase de création, il est nécessaire d’être dans la capacité de verser des salaires aux fondateur·trices. Il est difficile pour une coopérative d’être « en mode » startup que l’on pourrait résumer grossièrement par « travailler dans son garage et manger des pâtes pendant 3 ans pour enfin lever 3 millions d’euros et passer de 3 à 30 personnes en l’espace d’une semaine » (Mu ayant grandi en pépinière d’entreprises, ce genre de situation, même si il est volontairement exagéré, a été assez récurrent autour de nous)…

De plus, le statut de SCOP limite la répartition des bénéfices à 33% pour les actionnaires et oblige à reverser minimum 25% de ces bénéfices aux salarié·es et mettre minimum 16% en réserve pour l’entreprise (voire l’article précédent).

🧐 Du point de vue des investisseurs extérieurs, le tableau n’est pas très reluisant et l’offre peu alléchante…pas de contrôle sur l’entreprise et une rémunération en dividendes bridée par les statuts, ces garde-fous permettent de rendre la coopérative totalement indépendante, plus pérenne en impliquant et fidélisant ses salarié·es.

 

Et concrètement chez Mu, comment cela se passe-t-il ? 🔎

Dans le cas de Mu, ces règles ont impliqué qu’à leurs débuts les deux fondateurs de Mu ont dû se salarier, au minimum légal, le SMIC, pour une intensité de travail bien supérieure aux 35 heures puisqu’en phase de création ! Malgré cette gageure et après avoir ambitionné des salaires égalitaires au sein de Mu, les rémunérations des salarié·es se sont différenciées individuellement en fonction de leur ancienneté et de leur expérience.

Mu est depuis une entreprise viable et début 2020, nous avons défini une grille de salaire qui cadre à la fois le salaire d’entrée dans la coopérative, mais également l’augmentation salariale annuelle et tout cela de façon paritaire, logarithmique et plafonnée !

👉 Pourquoi paritaire ?

Parce que la grille de salaire chez Mu est basée sur l’expérience de la personne, expérience acquise chez Mu ou en dehors de Mu, tant qu’elle est en lien avec les métiers de la coopérative, à savoir l’ingénierie de l’environnement, le design et la conception de produit ou plus généralement de l’éco-conception. Donc peu importe le genre de la personne, ou son bagout lors de la négociation salariale annuelle…c’est la durée de l’expérience liée au métier de l’éco-conception qui seule compte. Il est bon de rappeler que selon l’Observatoire des Inégalités, en 2021, les femmes gagnaient en moyenne 15% de moins en équivalent temps plein [4].

👉 Pourquoi logarithmique ?

Historiquement, les augmentations de salaire se faisaient de manière égalitaire : chaque année, en fonction des projections de l’année suivante, Mu proposait à chaque salarié·e le même pourcentage d’augmentation. Cependant ce principe égalitaire génère tout de même une certaine inéquité puisqu’une augmentation de 5% sur un salaire faible ou sur un salaire plus important ne représente pas la même somme d’argent in fine. La grille de salaire mis en place et qui s’applique à tout le monde chez Mu, tente de corriger cette règle inique : l’augmentation annuelle est ainsi plus forte en début de carrière (supérieure à 5%) puis plus faible pour finalement être nulle après 25 ans d’expériences. À titre de (contre-)exemple, entre 2011 et 2021, les dirigeants des 100 plus grandes entreprises françaises cotées ont vu leur salaire augmenter de 66%, tandis que leurs salarié·es ont connu une augmentation de 21% [5].

👉 Pourquoi plafonnée ?

Ce principe de salaire maximum était déjà écrit dans le business plan que les deux co-fondateurs ont écrit il y a 13 ans : « La prétention salariale des co-entrepreneurs est calculée pour répondre à leurs besoins personnels sans jamais dépasser 4 fois le SMIC » ! Les réflexions ont depuis évoluées au sein de Mu, désormais le salaire le plus élevé chez Mu ne peut dépasser 4 fois le salaire le plus faible. Ce choix est relativement logique : si la personne ayant le plus haut salaire (qui a potentiellement le plus d’expérience, d’influence et de pouvoir) souhaite augmenter son salaire, elle devra nécessairement commencer par augmenter les salaires les plus faibles de la coopérative ! Aujourd’hui la différence entre le salaire le plus élevé et le plus faible est d’un facteur 2.

À titre informatif, en 2017, le ratio entre les revenus d’un patron de grand groupe et le revenu moyen national était de 70 pour la France [6] (en Europe le meilleur élève est la Norvège avec un facteur 20), mais dans certains cas, comme celui de l’entreprise Stellantis (fusion de PSA et Fiat-Chrysler) l’écart est de 1139 [5] ! Bien qu’exceptionnel, ce type d’écart abyssal illustre de façon flagrante l’inégalité dans la répartition des richesses générées qui peut exister au sein des entreprises.

Merci François-Xavier Ferrari pour l’écriture de cet article et à Anthony Boule, à Sivaranjani Selvaradj, à Rachel Arana et à Amaïa Danel pour leurs contributions 👏👏👏

Références et notes de bas de pages

[1] Pour les experts du GIEC « la justice sociale et l’équité sont des éléments centraux des trajectoires de développement favorisant la résilience face au changement climatique qui visent à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C » (source : IPCC, Roy et al. (2019). Rapport spécial Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, disponible ici : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf)

[2] Motesharrei et al. (2014). Human and nature dynamics (HANDY) : Modeling inequality and use of resources in the collapse or sustainability of societies

[3] Chance, Piketty et al. (2021). Worl Inequity Report 2022

[4] Source site internet de l’Observatoire des Inégalités : https://www.inegalites.fr/Les-inegalites-de-salaires-entre-les-femmes-et-les-hommes-etat-des-lieux ; consulté le 31 octobre 2023

[5] Selon l’étude Inégalités salariales : aux grandes entreprises les gros écarts – Oxfam France, 27 avril 2023

[6] Site internet de Novethic, selon une étude de Bloomberg : https://www.novethic.fr/actualite/social/conditions-de-travail/isr-rse/inegalites-aux-etats-unis-un-grand-patron-gagne-265-fois-plus-qu-un-americain-moyen-145265.html

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